Comme un écrivain qui pense que « toute audace véritable vient de l'intérieur », Leïla Slimani préfère la solitude à la distraction. Pourquoi alors accepter cette proposition d'une nuit blanche à la Pointe de la Douane, à Venise, dans les collections d'art de la Fondation Pinault, qui ne lui parlent guère ? Autour de cette « impossibilité » d'un livre, avec un art subtil de digresser dans la nuit vénitienne, Leïla Slimani nous parle d'elle, de l'enfermement, du mouvement, du voyage, de l'intimité, de l'identité, de l'entre-deux, entre Orient et Occident, où elle navigue et chaloupe, comme Venise à la Pointe de la Douane.
L'action d'Ulysse se passe en un jour, à Dublin, en 1904. Le personnage d'Ulysse est un petit employé juif, Leopold Bloom ; Stephen Dedalus, jeune Irlandais poète, est Télémaque ; Marion, femme de Bloom et qui le trompe, est Pénélope. Rien n'arrive d'extraordinaire au cours de cette journée. Bloom et Dedalus errent dans la ville, vaquant à leurs affaires, et se retrouvent le soir dans un bordel.Chaque épisode correspond à un épisode de L'Odyssée. Mais la parodie débouche sur une mise en cause du monde moderne à une époque de muflisme. Joyce exprime l'universel par le particulier. Bloom, Dedalus, Marion sont des archétypes. Toute la vie, la naissance et la mort, la recherche du père (Dedalus est aussi Hamlet), celle du fils (Bloom a perdu un fils jeune), toute l'histoire sont contenues en un seul jour. C'est à Rabelais, à Swift que l'on peut comparer l'art de Joyce qui a écrit, dans Ulysse, la grande oeuvre épique et satirique de notre temps.
«La saison, c'est le temps des émotions.» Nagori, littéralement «reste des vagues», signifie en japonais la nostalgie de la séparation. Dans ce court texte, Ryoko Sekiguchi évoque l'attachement aux saisons qui imprègne la langue et les haïkus dans la culture japonaise. À travers la nourriture, l'écrivaine nous livre l'arrière-goût, les textures et les émotions d'une saison qui vient de nous quitter.
Le Horla raconte la lente désagrégation d'un esprit, de la dépression à la folie - des maux que connaissait bien Maupassant. Le héros se sent peu à peu envahi par un autre, qui agit à travers lui : le Horla, puissance invisible, inconsciente, qui le manipule. S'installent alors l'incompréhension, la peur, l'angoisse. Jusqu'à l'irréparable. Prenant la forme du journal intime, la nouvelle illustre ce que Freud nommera l'inquiétante étrangeté, cette intrusion progressive du malaise dans le quotidien. Modèle de nouvelle fantastique, Le Horla est aussi une description clinique du dédoublement de personnalité qui menace toute conscience.
Que fait-on quand on regarde une peinture? À quoi pense-t-on? Qu'imagine-t-on? Comment dire, comment se dire à soi-même ce que l'on voit ou devine? Et comment l'historien d'art peut-il interpréter sérieusement ce qu'il voit un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout?En six courtes fictions narratives qui se présentent comme autant d'enquêtes sur des évidences du visible, de Velazquez à Titien, de Bruegel à Tintoret, Daniel Arasse propose des aventures du regard. Un seul point commun entre les tableaux envisagés:la peinture y révèle sa puissance en nous éblouissant, en démontrant que nous ne voyons rien de ce qu'elle nous montre. On n'y voit rien! Mais ce rien, ce n'est pas rien.Écrit par un des historiens d'art les plus brillants d'aujourd'hui, ce livre adopte un ton vif, libre et drôle pour aborder le savoir sans fin que la peinture nous délivre à travers les siècles.
Échappé du bagne, Florent gagne la capitale où il trouve un emploi au coeur des Halles. Républicain contraint à la clandestinité dans une France dirigée d'une main de fer par Napoléon III, il devra composer avec un peuple de petits bourgeois avides et prompts à revendiquer la part du voisin. Le Ventre de Paris, ce sont les Halles, avec leur «souffle colossal épais encore de l'indigestion de la veille», leurs montagnes de mangeailles, de viandes saignantes, «de choses fondantes, de choses grasses», de «gradins de légumes» d'où montent «le râle de tous les potagers de la banlieue». «L'idée générale, écrit Zola, est le ventre, la bourgeoisie digérant, ruminant, la bête broyant le foin au râtelier, la bedaine pleine et heureuse se ballonnant au soleil.» C'est l'éternel combat des «Gras» contre les «Maigres».
Les quatre morts du vieil homme Longoué, les fiertés de Rochebrune, la folie de Marie Celat, les résurrections de Stepan Stepanovitch, les Mémoires de guerre de Rigobert Massoul, les prédestinations d'Artémise et de Marie-Annie, et combien d'autres épisodes, avec une multitude de personnages, - les trois Anestor, le dieu du commerce et de l'invention, sans compter ces bêtes prédestinées : le cochon fou et la vache consacrée de Monsieur Lomé, le coq sauvage et le matouchatte - précèdent, préparent ou accompagnent la dérive de Mathieu Béluse et de Raphaël Targin, dans le Tout-monde.Ils sont le sel de la Diversité. Ils ont dépassé les limites et les frontières, ils mélangent les langages, ils déménagent les langues, ils transbahutent, ils tombent dans la folie du monde, on les refoule et les exclut de la puissance du Territoire mais, ils sont la terre elle-même, ils vont au-devant de nous, ils voient, loin devant, ce point fixe qu'il faudra dépasser une fois encore.Ce roman est une anthologie de toutes les sortes de voyages possibles, hormis ceux de conquête.
«Mathilde prononça les paroles magiques. Aussitôt, les caractères tracés sur les bords du miroir s'animèrent et commencèrent à tracer dans l'air des figures reconnaissables. La surface d'acier poli sembla fondre et il se présenta aux yeux du moine un tourbillonnement de couleurs et d'images agitées de remous puissants. Puis les choses se disposèrent suivant leur perspective naturelle et Ambrosio vit en miniature les traits mêmes d'Antonia.Elle se trouvait dans un petit cabinet attenant à la chambre où elle couchait. Elle se déshabillait pour se mettre au bain et le moine eut pleine liberté de détailler les admirables proportions de ses membres.»
Ce récit, écrit à la première personne, raconte la lente maladie du père de l'auteur âgé de quatre-vingt-six ans, sa lutte obstinée pour vaincre la tumeur au cerveau qui finira par l'emporter. Dans ce combat contre le drame de la vieillesse, le fils guide et assiste le père jusqu'à s'identifier à lui.Patrimoine est une histoire vraie (comme le précise le sous-titre) dont Herman, le père, plus encore que le fils, est le barde. Une histoire cruelle et émouvante, que l'intégrité d'Herman, son refus de l'héroïque et de l'édifiant préservent pourtant de la complaisance et du sentimentalisme. Un récit qui proclame l'infinie complexité et la permanence de la vie, la nécessité de se souvenir, de ne rien oublier, car «être vivant, c'est être fait de mémoire. Si un homme n'est pas fait de mémoire, il n'est fait de rien». Une élégie d'horreur et de compassion, mais aussi d'amour.