Jakob von Uexküll est un biologiste allemand de racines estoniennes qui a été professeur de biologie à l'Université de Berlin après la Première Guerre mondiale qui avait ruiné sa famille. Von Uexküll a fait de nombreux travaux remarquables, mais il est surtout connu aujourd'hui pour sa théorie de l'Umwelt. Ce dernier terme qui veut dire environnement en allemand veut aussi dire bien autre chose sous la plume de von Uexküll puisqu'il s'agit surtout du rapport à l'environnement qui est en jeu pour lui. Le biologiste allemand considère en effet que chaque animal y a accès par l'intermédiaire de ses sens physiologiques et que ceux-ci étant différents d'une espèce à une autre, des animaux d'espèces multiples peuvent à la fois habiter un environnement différent et similaire. Ce faisant, von Uexküll introduit une notion de signification dans une biologie foncièrement mécaniste et en transforme substantiellement la pratique et la porté.
En France, en particulier, von Uexküll a été lu par des philosophes comme Gilles Deleuze qui en ont fait grand cas mais qui l'ont pratiqué dans une traduction qui date pour le moins. Une nouvelle traduction n'était donc pas du luxe. Aujourd'hui, un courant encore minoritaire mais chaque jour plus puissant, la biosémiotique, a repris les idées de von Uexküll et les retravaille d'une façon extrêmement intéressante et inventive dans des universités comme celles de Tartu, de Copenhague ou de Prague. Mine de rien, c'est toute la question des relations homme/animal qui peut être reposée à nouveaux frais.
Les grandes forêts primaires des tropiques - celles qui n'ont jamais été modifiées par l'homme - ont pratiquement disparu et il n'en reste que des lambeaux. Leur dégradation constitue une perte irréparable, car elles sont le sommet de la diversité biologique de notre planète.
Voici près de cinquante ans que le botaniste Francis Hallé les arpente et les étudie. Pour tenter de sauver ce qu'il en reste, il a réalisé en 2013, avec Luc Jacquet, le film Il était une forêt. Maintenant, pour que perdure l'élan qu'a suscité le film, il nous propose de découvrir ces forêts en sa compagnie. Paradoxalement, les descriptions scientifiques classiques ne suffisant pas à rendre compte de ces formations végétales grandioses, il préfère s'appuyer sur le témoignage des sens et nous convier à une promenade, dans un sous-bois d'abord, puis sur la canopée.
Les arbres et les lianes occupent, comme il se doit, une place majeure dans ce livre, mais l'on y croise aussi animaux et herbes, mousses et champignons, algues et bactéries...
Qui tous témoignent des passionnantes stratégies du vivant sous ces latitudes, que Francis Hallé sait rendre accessibles à tous, même aux non-spécialistes.
Cependant, la découverte des forêts primaires serait incomplète sans l'exploration du versant sombre et tragique de leur histoire : l'exploitation effrénée du bois, les cultures de rente, l'appropriation des ressources naturelles locales par de grandes multinationales issues de pays riches et souvent aidées par ceux-ci, dans une démarche typiquement coloniale.
Les ravages sont aujourd'hui si avancés qu'aucun gouvernement ne pourrait arrêter ni même ralentir la déforestation. Seul un large mouvement de l'opinion publique pourrait, peut-être, y parvenir. Tel est donc le but que Francis Hallé assigne à cet ardent plaidoyer : non seulement rendre leur vrai visage aux forêts tropicales, suggérer des pistes d'étude et de mise en valeur respectueuse de leurs ressources, mais surtout susciter l'engagement de tous ceux qui souhaitent voir respectés les derniers fragments de ces somptueuses forêts.